L’accent brusseleir (bruxellois français, par Marie-Christine Lefèbvre)
De l’accent ! De l’accent ! Mais après tout, en ai-je ?
Och God en Hiere toch ! pourquoi ce privilège ?
Et si je vous disais, à mon tour, peï de France,
Que c’est vous qui l’avez, l’accent, mais sans la zwanze.
Qu’on dit
en bas de ça, de Schaerbeek à Saint-Gilles :
« Ces gens-là ne parlent pas comm’ tout l’monde, janvermille ! »
Après tout, ça dépend de la façon
de voir :
Ne pas avoir d’accent, mais oué, c’est en avoir !
Alleï non, je ziever et je fais le malin.
Ceux qui n’ont pas d’accent, och erme,
je les plains.
Prendre avec son accent, ça est pas faire le bravache
C’est prendre avec un peu de sa terre à ses slaches !
Prendre avec son accent de Bruxelles ou de Saint-Josse,
C’est
prendre avec la Bourse ou le Koemerenbos.
Quand, loin de sa maison, on s’en va, potferdek’
L’accent, oué, c’est le pays qui vient avec !
C’est un peu,
cet accent, un stukske de bagage ;
Le babbel de chez soi qu’on emporte en voyage !
Avoir l’accent, enfin, c’est chaque fois qu’on cause
Parler sur son pays, en parlant
d’autre chose
Non, peï, j’ai pas honte de mon accent tranquille
Et je veux qu’il sonne clair et ronflant, potfermille !
Et je veux, chaque fois, dans mes villégiatures
Emporter mon
accent au creux de mes blaftures !
Mon accent, mais non, ça n’est jamais du vlek !
Il vous fait emporter l’air de Bruxelles avec !
Et fait chanter la zwanze dans toutes nos paroles,
Comme chante la mer au fond des caricoles.
Écoutez. En parlant, je plante le décor
De la gare du Midi jusqu’à la gare du Nord ;
Il évoque à la fois le gris de nos églises
Et notre ciel si bas, qui le caractérise.
Par les strotches étroites, au fond des kaberdouches,
On l’entend dans les mots des Bruxellois de souche !
Cet accent-là, qu’il fasse beau
temps ou bien qu’il drache,
À toutes mes chansons donne un même panache.
Et quand vous l’entendez chanter dans mes paroles
Tous les mots brusseleirs fusent volle pétrole !
Sincères remerciments à Marie-Christine Lefebvre pour cette version élégante
qu’elle nous a fait le plaisir de nous proposer.
L'accent (texte original – Miguel Zamacoïs)
« De l'accent ! De l'accent ! Mais
après tout en-ai-je ?
Pourquoi cette faveur ? Pourquoi ce privilège ?
Et si je vous disais à mon tour, gens du Nord,
Que c'est vous qui pour nous semblez l'avoir très fort
Que nous disons de
vous, du Rhône à la Gironde,
« Ces gens là n'ont pas le parler de tout le monde ! »
Et que, tout dépendant de la façon de voir,
Ne pas avoir l'accent, pour nous, c'est en avoir...
Eh bien non ! je blasphème ! Et je suis las de feindre !
Ceux qui n'ont pas d'accent, je ne puis que les plaindre !
Emporter de chez soi les accents familiers,
C'est emporter un peu sa terre à ses
souliers,
Emporter son accent d'Auvergne ou de Bretagne,
C'est emporter un peu sa lande ou sa montagne !
Lorsque, loin du pays, le cœur gros, on s'enfuit,
L'accent ? Mais c'est un peu le pays qui vous suit !
C'est un peu, cet accent, invisible bagage,
Le parler de chez soi qu'on emporte en voyage !
C'est pour les malheureux à l'exil obligés,
Le patois qui déteint sur les mots étrangers !
Avoir
l'accent enfin, c'est, chaque fois qu'on cause,
Parler de son pays en parlant d'autre chose !
Non, je ne rougis pas de mon fidèle accent !
Je veux qu'il soit sonore, et clair, retentissant !
Et m'en aller tout
droit, l'humeur toujours pareille,
En portant mon accent fièrement sur l'oreille !
Mon accent ! Il faudrait l'écouter à genoux !
Il nous fait emporter la Provence avec nous,
Et fait chanter sa voix
dans tous mes bavardages
Comme chante la mer au fond des coquillages !
Écoutez ! En parlant, je plante le décor
Du torride Midi dans les brumes du Nord !
Mon accent porte en soi d'adorables mélanges
D'effluves d'orangers et de parfum d'oranges ;
Il évoque à la fois les feuillages bleu-gris
De nos chers oliviers aux vieux troncs rabougris,
Et le petit village où les treilles splendides
Éclaboussent
de bleu les blancheurs des bastides !
Cet accent-là, mistral, cigale et tambourin,
À toutes mes chansons donne un même refrain,
Et quand vous l'entendez chanter dans ma parole
Tous les mots que je dis dansent
la farandole ! »
Miguel Louis Pascal Zamacoïs, (1866 – 1955), fils d’un père basque espagnol et d’une mère française, est un romancier français, auteur dramatique, poète et journaliste. Bien oublié aujourd’hui, il est cependant connu pour un poème « L’accent » qui rend ses lettres de noblesse à la prononciation locale.
Ce
poème a été récité à de nombreuses reprises, notamment par Fernandel. Curieusement, cette interprétation fait la part belle au français standard :
https://www.youtube.com/watch?v=90y-7uKql0g.
Nous lui préférons sincèrement celle, anonyme, d’une vieille dame à l’accent chantant du midi,
que vous trouverez ci-dessous !
Avoir l'accent enfin, c'est, chaque fois qu'on cause,
Parler de son pays en parlant d'autre chose !
Extrait de "L'accent", poème de Miguel Zamacoïs (1866 – 1955).
Version "nettoyée" de celle qui circule sur le web.
Le Petit Robert, édition 2020 reprend notre magnifique mot "douf" (dans l'acception "chaud et lourd"), ensemble avec "Covid", "déconfinement" et "sexto". Voilà qui ferait plaisir à celui que l'on s'obstine à nommer "Le Petit Julien" (alors qu'il s'agit de 2 fontaines différentes, à une rue d'intervalle).
Qu'à cela ne tienne ! Dans sa tenue de vacancier de Bredene "qui vient de fermer sa plage naturiste pour 1 an (sic !)", Menneke-Pis peut poursuivre son activité millénaire (ou presque) en s'exclamant : Amaï, qu'est-ce qui fait douf, ici !
Jean-Jacques
En illustration : Manneken-Pis censuré sur les boîtes de Monopoly "Made in USA"
Les auteurs qui publient en beulemans (ou bruxellois français), tels Virgile, Jean d’Osta ou Joske Maelbeek, pastichent volontiers Jean de La Fontaine. L'exercice d'une fable en beulemans m'a tenté très tôt (2000) ; rien de plus naturel, pour le débutant, que de pasticher « Le corbeau et le renard » ! Quinze ans plus tard, je me suis amusé à parodier « La cigale et la fourmi », dans un contexte tout à fait original, celui des dinosaures : L'Iguanodon'tche et la Tyrannozuur.
L’iguanodon est un dinosaure herbivore du Crétacé inférieur (-146 à -100 Ma) dont les spécimens les plus connus ont été découverts, en 1878, dans la mine de Bernissart, en Belgique, près de la frontière française. Cette collection, unique au monde, est visible au Muséum des Sciences naturelles de Belgique, à Bruxelles. Par contre, le Tyrannosaure est un dinosaure carnivore de l’Amérique du Nord, ayant vécu à la fin du Crétacé (-72 à -66 Ma). Ces deux animaux n’ont donc jamais pu se côtoyer. De même, l’assertion "Et toujours pas d'herb', ça n'a pas encore été inventé" est une pure licence poétique : en effet, un article de la revue Science (18.11.2005) note la présence de graminées (dont fait partie l’herbe) dans les coprolithes (excréments fossilisés) de grands dinosaures herbivores, à la fin du Crétacé, dans ce qui est aujourd’hui l’Inde. De même, parler de "dents de lait" pour un dinosaure est une contradictio in terminis !
Mais que ces considérations par trop sérieuses ne nous privent pas du plaisir de la zwanze !
Même si le beulemans est un créole (flamand de Bruxelles / français de Belgique), il fait partie des ‘dialectes de Belgique’ et à ce titre reprend à son compte des altérations de phonèmes et des expressions, caractéristique générale des belgicismes plus que des bruxellismes spécifiques. La plupart des ouvrages destinés au grand-public (dictionnaires, cours, etc.) ne détaillent que partiellement ce qu’est le beulemans du point de vue linguistique. Citons en deux:
Georges Lebouc : Le bruxellois en 70 leçons
Le Bruxellois de poche, Coll. "Assimil Evasion"
Si vous cherchez des exemples d'une plus haute tenue littéraire pour apprécier cette langue si savoureuse et si croustillante de notre capitale, celle que les Français appellent à tort "le parler belge", je vous en conseillerais deux:
Le chapitre consacré aux fables de Joske Maelbeek, publiées dans "Le Best Tof" (2013) et "Du côté de chez Zwanze" (2014) publiés chez 180° Editions
Le "Regard amoureux sur le parler bruxellois" (2014) de Jean-Pierre vanden Branden, publié aux Editions de l'arbre.
Ceci dit, la référence absolue sur le sujet demeure l'ouvrage de recherche universitaire publié à l'ULB, en 1971,intitulée: "Le français régional de Bruxelles, de Hugo Baetens Beardsmore[1]):
Comme pour tous les créoles, les altérations principales par rapport à la langue de référence, le français normatif ici, en constituent le fondement.
Jean-Jacques De Gheyndt.
"Pour la Science et pour la Zwanze" ©
Comme pour tous les créoles, les altérations par rapport à la langue de référence, le français normatif ici, en constituent le fondement :
Altérations des PHONEMES (le son utilisé pour prononcer une lettre ou une diphtongue)
Altérations dans l’ACCENTUATION
Altérations dans la MELODIE
Mots flamands ou locutions complètes, repris tels quels
Traduction mot à mot de locutions flamandes
Confusion du "tu" et du "vous"
Répétitions en cascades
Ajoutez à cela une bonne dose de mots ou de locutions flamandes et vous obtenez le beulemans. Les chiffres en fin de ligne correspondent aux caractéristiques énumérées ci-avant:
Ostracis’m ? Ostracis’m ? Ouïe que je n’AIM’ pas ce gharçon ! 1, 2, 3
Tu deviens peike, tu sais, kameroet ! 4
"Arrière, ignoble creatuur / Of ghe vliegt mè ae kop tèghe de muur"[2]) 4
Tiens wouéïh, ça est mon père sa voiture ! 5
Non, peut-être ? 5
Ne remetteï jamais à demain le verre que tu sais boire ojord’hui ! 6
Ça pouvait pas continuwer, rester, durer plus longtemps hein fieu ! 7
Jean-Jacques De
Gheyndt.
"Pour la Science et pour la Zwanze" ©
Commentaires critiques:
http://www.science-zwanze.be/413800424
Achat en ligne:
http://www.science-zwanze.be/428346294/category/761678/boutique
Jean-Jacques De Gheyndt.
"Pour la Science et pour la Zwanze" ©
Pourquoi le cacher … l'exercice d'une fable en beulemans m'a tenté; rien de plus naturel pour le débutant que de pasticher "Le corbeau et le renard" ! Le lecteur ne m'en voudra donc pas trop de cette version en vers libres :
Maître Corbauw, sur un buëmmeke geperscheïd,
Tenait dans son bèk un ettekeïs
Maître Renar’, par l’odeur verbabbereïrd,
Vint coser dans le Corbauw son bleïs:
Jaande, wa ne chikke peï! Sans stouffer,
Si ton klap ressemble à ton gileï,
Dans la rue de Stassart
Tu doi’ ïet un vrai castard !
A ces mo’, le Corbauw senti direct pèteï le bouton de la chemïes son col !
Et pour fair’
entent’ son bel orghan,
Ouvrit un four comme pour tout’ les Marolles,
Laissant – clèt – tomber son boterham !
Slüepe Jeuf la scheïr tout’ d’swit :
Awel … ‘k em aa ligge’, heinè , Pirrewiët?
Dorénavant,
de tous les flââve, te méfïe,
Paske , mwa, avec ton keïs, je suis schampavië !
Le Corbauw jura, ara ! Es ma da ne stüet !
Mais mwa, d’un tel schacheleir, j’serai plus jamais le klüet !
Jean-Jacques De Gheyndt.
"Pour la Science et pour la Zwanze"
©
Renée Gossez
17.12.2020 20:31
Savoureux, ce poème sur l'accent !
Merci !
Kitty Goudeketting
17.12.2020 15:45
Ta version parlée, JJ, aussi savoureuse que celle de 'Fernandel', je pense??
KITTY
Derniers commentaires
14.03 | 18:06
L'orthographe correcte c'est ringard ! Il suffit de lire les sous-titres qui accompagnent le JT de la RTBF depuis des années...
Christian & Mireille
08.03 | 16:46
Je recherche un photo de ma rue de Dinant des années 1947
08.03 | 16:42
Dans les années 40 il y avais une tour d'habitations sur la place de Dînant et en face sous les travaux de la jonction un Bunker, ma mère avait un salon de coiffure au n°7 de la rue de Dînant en 1946
19.11 | 10:34
Bonjour ! Ns venons au cours demain et ferons honneur aux sandwiches